Saviez-vous que...
Lois et règlementsSUITE À UN ACCIDENT MORTEL, LE RESPONSABLE DES OPÉRATIONS D’UN TRANSPORTEUR PEUT FAIRE FACE À DES ACCUSATIONS CRIMINELLES : L’AFFAIRE FUMMERTON
Le 11 juillet 2016, la Cour d’appel de l’Ontario a rendu son jugement dans l’affaire R. c. Fummerton, 2016 ONCA 560. Suite à cette décision, Ian Fummerton, le propriétaire et responsable des opérations d’ABI Trucking, un transporteur situé à Thunder Bay, en Ontario, subira son procès sous une accusation de négligence criminelle causant la mort, et ce, relativement à un accident mortel auquel il n’était pas présent.
Le 13 février 2014, l’un des conducteurs d’ABI Trucking effectue un mouvement de transport entre Mississauga et Thunder Bay. Vers 6h, il dépasse la ligne médiane et entre en collision avec un véhicule circulant en sens inverse. Le conducteur de cet autre véhicule, un agent hors fonction de la Police provinciale de l’Ontario, décède suivant l’accident.
Dans un premier temps, la Couronne porte des accusations criminelles à l’égard du conducteur, soit pour conduite dangereuse causant la mort et pour négligence criminelle causant la mort, les infractions prévues au paragraphe 249(4) et à l’alinéa 220b) du Code criminel, LRC 1985, ch C‑46 (« C.cr. »). Un constat d’infraction est également émis au nom du transporteur pour avoir contrevenu au règlement relatif à la vérification avant départ des véhicules lourds. Or, suite à une enquête policière supplémentaire, la Couronne décide de porter une accusation criminelle à l’égard d’Ian Fummerton.
Selon le Code criminel et la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, la négligence criminelle causant la mort comprend deux éléments. Premièrement, l’accusé doit faire quelque chose, ou encore omettre de faire quelque chose alors qu’il est obligé par la loi de le faire (article 220 C.cr.); cet acte ou omission doit avoir « contribué de façon appréciable » à la mort de la victime (R. c. Nette, 2001 CSC 78). Deuxièmement, la conduite de l’accusé doit démontrer une « insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui » (article 220 C.cr.). Selon la Cour suprême, il n’est pas nécessaire de prouver une intention réelle chez l’accusé, son comportement étant plutôt évalué ainsi : il doit exister un « écart marqué et important » entre la conduite de l’accusé et celle d’une personne raisonnable dans les mêmes circonstances (R. c. A.D.H., 2013 CSC 28).
Lorsqu’il a été accusé personnellement de négligence criminelle causant la mort, Fummerton a exigé la tenue d’une enquête préliminaire afin de contester le fait de devoir subir son procès. Lors de cette procédure, le ministère public doit démontrer à un juge de paix qu’il existe au moins un début de preuve relativement à chacun des éléments de l’infraction susmentionnés. Fait important, l’accusé peut, lors d’une enquête préliminaire, exiger l’émission d’une ordonnance qui interdit la publication, la transmission ou la diffusion de la preuve recueillie lors de l’enquête (article 539 C.cr.). Dans l’affaire Fummerton, l’accusé s’est prévalu de ce droit, de sorte que les renseignements factuels que nous pouvons fournir sont assez limités. Ceci dit, nous sommes tout de même en mesure de préciser ce qui suit.
Une compagnie de transport a l’obligation légale, en vertu de lois et de règlements provinciaux ou fédéraux, d’assurer la conformité de ses conducteurs aux règles relatives aux heures de service. Lorsqu’une personne œuvrant au sein d’un transporteur autorise un conducteur à conduire, tout en sachant que ces règlements ne seront pas respectés, il manque à cette obligation légale. Si ce non-respect réglementaire résulte en une fatigue importante chez le conducteur, laquelle fatigue s’avère être une cause appréciable de la mort de la victime d’un accident sur la route, la personne ayant autorisé la conduite dans une telle situation pourra faire l’objet d’accusations semblables à celle dans Fummerton.
Sans pour autant constituer une situation fréquente, il est bien connu que le conducteur d’un véhicule lourd peut faire face à des accusations criminelles suite à un accident mortel. Par ailleurs, l’affaire Fummerton nous semble être la première dans laquelle le responsable des opérations (en l’occurrence, le propriétaire) d’une entreprise de transport devra subir un procès pour avoir personnellement causé la mort de la victime d’un accident, alors qu’il n’était pas personnellement présent sur les lieux de celui-ci.
Nous rappelons que l’accusé dans Fummerton est présumé innocent en attendant son procès. Néanmoins, cette affaire démontre que les conséquences d’un manquement relatif à la sécurité des opérations ne sont pas limitées aux infractions prévues à un code de la route, mais peuvent aussi être de nature proprement criminelle.